Pour moi, le Witz est à l’origine de la création artistique. Une idée s’associe à une autre et c’est l’étincelle, de préférence surréaliste, en tous cas inspirante, qui questionne et/ou amuse. Le rire, bien souvent l’accompagne. Quand j’ai pris connaissance de ce concept romantique au fil de mes recherches, j’ai senti que c’était LE titre du film, que cela avait du sens même si c’est un mot/concept que peu de gens connaissent. J’aime les titres intrigants et graphiques. C’est le cas de Witz.
Pour en savoir plus sur ce concept;
(…) ce que Friedrich Schlegel appelle le « Witz », mot difficilement traduisible en français et qu’on peut rendre de manière approximative par « trait d’esprit » ou « saillie », sans que s’y retrouve ce qui caractérise véritablement le Witz, soit une capacité à associer et à combiner les forces les plus diverses sur un mode dynamique, donnant à voir des perspectives nouvelles. Il y a une rapidité de l’esprit witzig (adjectif formé à partir du mot Witz) qui lui est propre, rapidité liée à une volonté proprement romantique de transcender les catégories de la logique, pour accéder à un niveau de conscience où des éléments contradictoires peuvent être reliés et harmonisés au-delà de leur incompatibilité d’un point de vue rationnel. Le Witz peut être caractérisé comme une idée (Einfall en allemand) apparaissant subitement et devant apparaître subitement car elle n’est pas simplement le produit de la raison et d’un plan bien défini, mais aussi le fruit de l’imagination, faculté réévaluée et revalorisée par Kant dans sa Critique de la raison pure et plus encore dans sa Critique de la faculté de juger, ce qui avait bien sûr marqué les esprits de la génération romantique.
Le Witz ne peut s’exprimer que sous une forme fragmentaire en raison du caractère bref et fuyant de son apparition. Dans un premier temps, il est possible de rapprocher le fragment de l’aphorisme qui énonce des vérités ne pouvant être saisies qu’en quelques mots rapides et notés sous l’effet d’une illumination soudaine de l’esprit. D’où les références fréquentes à la chimie chez Friedrich Schlegel et Novalis, la vie de l’esprit pouvant être comparée à la production de précipités à partir de l’association de substances diverses et dont les réactions les unes aux autres sont imprévisibles et surprenantes. « Le Witz est une explosion d’esprit comprimé » , peut-on lire sous la plume de Friedrich Schlegel dans un autre de ses Fragments critiques.
Le caractère soudain et transitoire du Witz correspond donc à la mobilité et au dynamisme d’un esprit jamais au repos, et le fragment est son mode d’expression favori parce qu’il est bref et prolonge au-delà de lui-même le mouvement de la pensée qui ne peut être interrompu ni achevé. En cela, il diffère de l’aphorisme qui aurait tendance à arrêter la pensée, à la figer dans une forme close et définitive. On a pu voir dans cette forme – c’est le cas notamment d’un auteur contemporain du romantisme, Goethe – l’expression d’une instabilité chronique, et dénoncer à travers elle une maladie de l’esprit, alors qu’étaient associés au fragment, à partir du concept de Witz, non seulement son caractère dynamique et transitoire, mais surtout la richesse, l’intensité et la plénitude vitale dont il est porteur. A travers le Witz, c’est l’infinité de l’esprit qui se trouve exprimée. En cela il ne se résume pas à une saillie dont la légèreté pourrait être facilement dénoncée en le rapprochant des bons mots répandus dans les milieux aristocratiques, mais il est un acte de pensée et participe selon Friedrich Schlegel d’une tradition philosophique (…)
Première mise en ligne le 31 juillet 2012© Laurent Margantin _ 8 décembre 2016
Intégralité de l’article :
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Le Witz, Figures de l’esprit et formes de l’art, Christophe Viart ( Lettre Volée, collection essai, 2002)
Bon mot, trait d’esprit, saillie, clin d’œil, le Witz demeure proprement intraduisible. Son œuvre est un « jeu de pensée ». Le Witz est créateur, il transforme le savoir en jeu, la raison en imagination, la nécessité en liberté. Confrontant des points de vue différents — esthétique, philosophique,historique, critique —, les différents essais rassemblés ici visent à saisir la place de ces « bizarres combinaisons d’hétérogènes » que forme le Witz tel qu’il peut être repensé aujourd’hui dans les théories et dans les pratiques de l’art contemporain. On abordera ainsi l’humour platonique, l’argot plastique vu par Freud, l’ironie mallarméenne et celle des Mérimée père et fils, le trait d’esprit dans l’art du faussaire van Meegeren et d’autres, le capriccio de Polke, l’acuité de Hains, de Lavier, la dérision et l’autodérision dans l’art moderne et contemporain, de Manet à Morellet, de Duchamp à Lucariello.
Textes de Stephen Bann, Leszek Brogowski, Françoise Coblence, Pierre-Henry Frangne, Marion Hohlfeldt, Jacinto Lageira, Thierry Lenain, Bernard Marcadé, Denys Riout, Jacques Sato, Gilles A. Tiberghien, Christophe Viart.
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FREUD
Le Witz, un premier modèle pour la sublimation
Jean-Pierre Kamieniak
Dans Revue française de psychanalyse 2009/2 (Vol. 73), pages 505 à 517
https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2009-2-page-505.htm
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